La philosophie de Jean-Luc Nancy propose une nouvelle manière de penser ensemble le monde et la politique. Penser ensemble, penser l’être-ensemble, c’est bien le plus difficile et le plus important : que veut dire être avec quelqu’un, former une communauté, une nation, un peuple ? Qu’est-ce que l’avec, l’« être-avec », le « commun », s’interroge Jean-Luc Nancy ? À l’heure de l’individualisme sauvage, alors que l’intérêt des nations l’emporte sans vergogne sur l’intérêt de tous, comment est-il encore possible de dire « nous » ?
La réponse de Jean-Luc Nancy est la suivante, elle bouleverse nos repères politiques habituels : l’être-avec, le commun, le nous, tout cela relève d’un communisme non-politique. Sans ce communisme, aucune communauté, aucun « être-avec » n’est possible. Quoi ? Un communisme chinois ou soviétique ! Ce communisme totalitaire qui aura su et sait très bien encore s’accommoder du capitalisme ! Non, une pensée du commun qui fasse droit à chaque singularité, chaque existence. Voilà ce que la politique doit garantir aujourd’hui : 1. le commun ; 2. la singularité des existences. Ce que Jean-Luc Nancy nous propose, c’est un communisme existentiel qui, loin de rendre tout équivalent, montre que chaque existence est fondée sur quelque chose qui est plus qu’elle-même. Communisme existentiel veut dire : chaque existence est plus qu’elle-même ; chaque existence n’existe qu’en rapport avec d’autres existences.
Ce livre propose d’expliquer l’origine et le développement de ce communisme existentiel en le confrontant à d’autres pensées contemporaines qui, elles aussi, parlent d’existence (pensons à Sartre et d’une certaine manière à Bataille) et de communisme (pensons à Badiou). Dans cette confrontation, la pensée de Nancy se singularise, elle apparaît comme une sorte d’existentialisme radicalisé. Ce néo-existentialisme est bien le miroir des inquiétudes contemporaines et ce qu’il faut pour soigner ces dernières : est-il possible de se passer de religion sans devenir un simple consommateur individualiste ? Quand tout devient équivalent, quand nos goûts et notre subjectivité deviennent eux-mêmes des marchandises, est-il encore possible de se singulariser ? En résumé, 1. comment former des communautés qui ne nuisent pas à la singularité ? ; 2. comment être singulier sans devenir individualiste ?
Pour Jean-Luc Nancy, tel est le double défi lancé à nos démocraties exsangues. Si elles ne veulent pas tomber entre les mains des fascismes qui se développent sous nos yeux, elles devront devenir ce qu’il nomme des « démocraties nietzschéennes », à la fois soucieuses du commun et refusant l’équivalence de tout avec tout. À la fois égalitaire et différentialiste, démocratique et anarchiste. Voilà des contradictions ? Non, voilà ce qui doit revitaliser notre vie politique, lui redonner sa puissance et son avenir. La vie démocratique se doit aujourd’hui de reconnaître le singulier, le commun, et ce qui échappe à l’un comme à l’autre : l’incommensurable, l’inéquivalent.
Frédéric Neyrat est né en 1968. Il est enseigne actuellement dans le département de Littérature Comparée de l’Université de Wisconsin-Madison (USA). Il s’intéresse en particulier aux questions de biopolitique, d’immunopolitique et d’écologie politique. Il a récemment publié :
- Le Terrorisme. Un concept piégé, Alfortville, Éditions ère, 2011.
- Clinamen. Flux, absolu et loi spirale, Alfortville, Éditions ère, 2011.