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lettre d'information

couverture de L'ALTÉRATION DU MONDE
256 pages - 21,00 €
Éditions Lignes

L’ALTÉRATION DU MONDE

Pour une esthétique radicale

De la philosophie, oui, et de la plus pure. Et pourtant : il y a dans ce livre une vitesse, une puissance d’affirmation, une brutalité presque, aussi peu professorales que possible. Il y a beau y être question de Heidegger, Merleau-Ponty, Levinas, etc., c’est de Bataille, dont il y est davantage question encore, que ce livre tire ces qualités rares, et fort prometteuses. Un Bataille comme il n’a pas encore été lu ou pas assez et pas assez radicalement – pas assez radicalement en philosophe, le philosophe qu’il fut, le fût-il sur un mode « extravagant ». Croyait-on connaître cette œuvre, on la découvre encore.

L’Altération du monde mise sur un matérialisme radical. Alors que le monde s’altère chaque jour sous nos yeux, Boyan Manchev revendique, à la suite de Georges Bataille, le concept d’altération en tant que concept moteur d’une axiomatique aïsthétique, pour penser le monde dans son altération, en tant que cette altération même.

L’Altération du monde n’est pas un livre sur Bataille mais un livre à partir de Bataille. C’est vrai, son œuvre y est abordée dans le contexte de la philosophie de son époque – dans son rapport à la phénoménologie en général, à Husserl, à Bergson, à Heidegger, à Levinas, à Blanchot, à Merleau-Ponty, à Lacan. Avec la perspective ouverte par sa pensée, Bataille participe de plein droit (on ne l’a qu’assez peu soutenu) à la profonde transformation de la pensée philosophique moderne ; non seulement il contribue aux questionnements principaux de son temps, mais il traduit aussi l’exigence de l’époque d’une manière à la fois intuitive et exemplaire. Or l’œuvre de Bataille fonctionne avant tout comme une modalité critique de la pensée, comme une perspective.
Boyan Manchev désigne la méthode de Bataille – visant à relancer l’effectivité philosophique – par le terme de surcritique. Le noyau de cette méthode, et par conséquent du livre dans son ensemble, n’est autre, on l’a vu, que le concept d’altération, introduit par Bataille dans le contexte de sa réflexion sur les « origines de la représentation figurée ». Ce livre prétend en mesurer les conséquences, en l’expérimentant suivant trois modes, qui pour être différents n’en sont pas moins liés :

1. Une axiomatique de l’expérience sensible, indissociable d’une vision de la matière et développée à partir du concept d’altération. Dans cette perspective, s’ouvre la question d’un matérialisme héraclitéen, « bas » selon le terme de Bataille : un matérialisme qui comprend la matière non pas en tant que substance en puissance mais en tant que puissance altérante.

2. Une (sur)critique de la représentation et de sa visée « ocularcentrique » (selon le terme de Martin Jay), qui s’articule à l’égard de la critique radicale de la représentation effectuée par la modernité philosophique et artistique et, plus particulièrement, par la phénoménologie. Dans cette perspective, l’altération sera pensée en tant qu’alternative à l’opposition représentation-expression, alternative qui dynamise le champ esthétique.

3. Une éthique radicale, dans la mesure où l’aïsthétique de l’altération débouche néces-sairement sur la question de l’autre. Ce qui pose la question du rapport du champ éthique au champ politique à travers une confrontation des visions de Bataille et de Levinas.

L’essentiel dans ce parcours consiste à éclaircir, à travers le nœud de l’altération, l’articulation commune de ces trois champs. Pour cela, l’auteur revendique une (paradoxale) non-disciplinarité méthodologique, dont Bataille est sans doute le représentant exemplaire. La perspective ouverte par le travail critique sous chacun de ces trois modes débouchera ainsi sur une prise de position par rapport à quelques-uns des questionnements déterminants de la philosophie contemporaine – le débat esthétique autour de la représentation ; le débat éthique – politique au fond –, autour de la figure de l’autre ; et le débat ontologique. Le fil rouge de ce trajet conceptuel est assuré par l’analyse critique du champ du visible – la vision, le regard ainsi que la figure du visage –, qui s’est réservé le statut d’accès privilégié à l’être. Cette analyse critique mène ainsi à une surcritique de l’expérience de l’être.

Les trois modes sont développés dans une perspective ontologique transformée qui ne manque pas d’affronter le monde dans son altération actuelle. Penser donc le monde dans son altération, en tant que cette altération même, veut dire suivre le geste surcritique de Bataille : briser l’oubli de la philosophie disciplinaire qui est l’oubli de l’agir dans le monde. Bataille brise cet oubli en réduisant les actualisations disciplinaires figées en formes discursives pour les ramener à leur puissance énergétique, opération que Manchev nomme illustration. L’illustration n’est pas le nom de la négativité du concept ; elle est plutôt le degré intense de son effectivité : la transformation énergétique de la matière conceptuelle. L’illustration est une opération effective qui brise les chaînes de l’équivalence par la perspective de l’agir. Elle rouvre la puissance transformatrice du concept, non pour poser de nouveau l’exigence de transformer le monde mais pour transformer sa transformation.

« Selon Adorno, écrit Boyan Manchev pour présenter son livre, la dernière philosophie est celle où les concepts se transforment en images. L’illustration surcritique trace dès lors la limite de la philosophie : l’épithète de “dernier philosophe” s’accorde à Bataille mieux qu’à Hegel ou même à Nietzsche. La dernière philosophie n’est pas celle qui achève mais celle qui altère. »

Entretien de Boyan Manchev, sur la webradio À bout de Souffle.

Éditeur : Éditions Lignes
Prix : 21,00 €
Format : 13 x 19 cm
Nombre de pages : 256 pages
Édition courante : 17 avril 2009
ISBN : 978-2-35526-027-8
EAN : 9782355260278