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lettre d'information

couverture de L'EMPIRE DE L'ADOLESCENCE
128 pages - 19,00 €
Lignes-Vertigo

L’EMPIRE DE L’ADOLESCENCE

Revue Vertigo n°45

+ Dossier Larry Clark

Au-delà du simple constat historico-sociologique, que peut signifier le privilège accordé depuis déjà quelques temps à la figure de l’adolescent au cinéma ? À quelles (nouvelles) manières d’être et de faire nous renvoie-t-il ou nous introduit-il ? Quelles relations à la vie, la mort, le sexe, l’amour, la politique, etc. modélise-t-il ? Et de la même façon, de quels dénis et illusions ces personnages d’éternels adolescents, qui ne sont plus des adolescents au sens générique, et dont regorgent aujourd’hui le cinéma – notamment français – sont-ils le symptôme ?

Le XXe siècle a inventé l’adolescence. Les nombreux changements sociaux survenus dans le sillage de l’Après-guerre – l’allongement de la durée des études, l’entrée plus tardive dans la vie active, la construction, par la publicité, le marketing et les industries culturelles, d’un cœur de cible idoine, la naissance de codes culturels spécifiant et circonscrivant cette tranche d’âge – ont conduit à un étirement du passage entre deux âges, et l’adolescent, être ontologiquement de/du passage, s’est immiscé entre l’enfance et l’âge d’homme, accaparant de plus en plus de place et venant infléchir, sinon contredire, sa nature promise à la métamorphose. C’est alors qu’il devint un personnage de cinéma.

Le phénomène date des années cinquante (qui se souvient d’un adolescent dans le cinéma muet ? ou même le cinéma des années trente ?) : Blackboard Jungle (R. Brooks) et Rebel without a cause (N. Ray) signent l’émergence du teen-movie aux États-Unis, qui très vite acquiert ses modalités propres de création et de diffusion (le cinéma d’exploitation, le drive in). La télévision développera également programmes et séries mettant en scène des adolescents et s’adressant spécifiquement aux adolescents. Le phénomène s’est aujourd’hui étendu : le film avec adolescent/s semble devenu la norme, au point que même les vampires et super-héros contemporains sont aujourd’hui des adolescents (Twilight, Chronicle, Spiderman), et que la grande tradition de la comédie américaine trouve son prolongement juvénile dans les productions de Judd Apatow.

Bel âge ou âge ingrat, état fantasmé et chimérique ouvert à toutes les promesses ou bulle autarcique : le regard posé sur l’adolescence n’est pas unique. Cependant, bien loin de l’héritage romantique du roman de formation ou d’apprentissage qui accompagnait la maturation d’un jeune héros et le voyait s’accomplir et devenir adulte, avec plus ou moins de félicité (les adolescents de Pialat, Eustache et Rohmer, les jeunes filles de Breillat) ou refuser définitivement d’habiter ce monde (Le Diable, probablement de Bresson, Noce blanche de Brisseau), il semble que l’adolescence soit devenue un état prolongé, indépassable – comme en témoigne symptomatiquement l’adolescent vampire de Twilight, rivé à une jeunesse éternelle (qui lui fait connaître la paternité depuis cette non-maturité). L’adolescence était un état de transformation, de métamorphose – physique et morale ; elle est devenue un état permanent, terminal, n’impliquant plus d’advenir.

Et ce fait semble déborder le cadre du film avec adolescents. La juvénilité (des corps, des visages, des attitudes), l’adolescence comme manière d’être au monde, la revendication d’insouciance, d’inconscience, d’immaturité, d’irresponsabilité hantent certains films contemporains dont le récit ne met pourtant pas en jeu d’adolescents à proprement parler – comme si l’adolescence cinématographiquement convoitée, publicisée, ouvrait alors à une déclinaison des adolescences pour chaque tranche d’âge. Les personnages de quantité de films (l’archétype en serait celui qu’incarne Romain Duris dans la franchise ouverte en 2002 avec L’Auberge espagnole de Cédric Klapisch) sont de grands et vieux adolescents, trentenaires ou/puis quarantenaires, attachés à leur inachèvement revendiqué – ce qu’on a pu nommer l’adulescence. Les scénarios de ces films ne se contentent pas de reconduire certains schèmes du « roman de formation », éventuellement reconfigurés mais tournant à vide puisque l’initiation ne s’y accomplit pas ; ils manifestent un désir de jeunisme impliquant une forme de retrait du monde, l’affichage d’un apolitisme et d’une complaisance dans le solipsisme et l’entre-soi.

Au-delà du simple constat historico-sociologique, que peut signifier ce privilège accordé depuis déjà quelques temps à la figure de l’adolescent au cinéma ? À quelles (nouvelles) manières d’être et de faire nous renvoie-t-il ou nous introduit-il ? Quelles relations à la vie, la mort, le sexe, l’amour, la politique, etc. modélise-t-il ? Et de la même façon, de quels dénis et illusions ces personnages d’éternels adolescents, qui ne sont plus des adolescents au sens générique, et dont regorgent aujourd’hui le cinéma – notamment français – sont-ils le symptôme ? En quoi nous renseignent-ils sur ce que nous sommes, ne sommes pas, ou ce qui nous guette et à quoi nous tentons de résister ?

+ Dossier Larry Clark
La dernière partie de ce numéro sera consacrée à Larry Clark, à l’occasion de la sortie en novembre2012, directement sur Internet, de son dernier film, Marfa Girl, le réalisateur revendiquant ce mode de diffusion par le désir d’atteindre directement le public adolescent. Depuis Kids en 1995 (son premier film, sur un scénario d’Harmony Korine), mais déjà auparavant avec ses fameux recueils photographiques Tulsa (1971), Teenage Lust (1983) et The perfect Childhood (1993), dont la crudité influença le cinéma américain, de Scorsese à Gus Van Sant, avant même qu’il réalise à son tour, et jusqu’au documentaire Impaled (inclus dans le film collectif Destricted), où il auditionnait de jeunes américains à partir de leur pratique des films X, Clark n’a eu de cesse, avec des films coup-de-poing comme Bully (2001) et Ken Park (2002) d’interroger les rites et les coutumes de la jeunesse américaine, sa contre-culture et ses excès de sexualité et de violence, déchirée entre consumérisme et liberté, autodestruction et rébellion, nihilisme et utopie. Approfondissant la mythologie et l’iconographie des avatars contemporains des « rebelles sans cause », scrutant les corps mis à nu et les désirs à vif, Clark dresse un portrait à la fois empathique et critique des enfants perdus de l’Amérique, ferments anarchiques d’un refus catégorique du conformisme social, à l’ère d’un capitalisme avancé qui a réifié le corps adolescent en produit de séduction. La fascination dialectique pour ce corps qu’entretient son cinéma a parfois pu prêter à malentendus, mais c’est précisément le signe de sa place incontournable quant à la représentation de la jeunesse d’aujourd’hui. Son actualité nous offre ainsi l’occasion d’une coda à la première partie de ce numéro.

Sommaire :

Editorial

L’empire de l’adolescence
coordonné par Fabienne Duszynski

Passer au présent (Benjamin Thomas)
De vraies jeunes filles ? (Adrienne Boutang)
L’émotion en bandoulière, ou le champ de l’aventure adolescente (Sophia Collet)
L’"aventure intérieure" de l’adolescence (Antoine Gaudin)
Variations autour de la jeune fille (Zeynep Jouvenaux)

Instants
Just do it ! (Gaël Lépingle)
Développement arrêté (Adrienne Boutang)
Sexe, drogues & Britney Spears (Charlotte Duszynski)

Le prisme et les chimères (Camille Aurelle & Catherine Ermakoff)
De l’essentiel et du dérisoire (à vouloir grandir) (Alex Terror)
Bubbleworld (Matthieu Bareyre)
Roulez jeunesse (Lucie Wright)

Larry Clark
coordonné par Emeric de Lastens

Jeunesse du même (Emeric de Lastens)
Back in Tulsa (Benjamin Léon)
Baiser(s) pour baiser (Claudine Le Pallec Marand)
Dirty Larry and the pure youth (Adrienne Boutang)

Éditeur : Lignes-Vertigo
Prix : 19,00 €
Nombre de pages : 128 pages
Édition courante : 14 juin 2013
ISBN : 978-2-35526-121-3
EAN : 9782355261213